Feuilleton littéraire commandé par François Christophe, concepteur du webmagazine culturel de Blois Oh Oui !
Neuf épisodes publiés entre septembre 2011 et juin 2012.
Illustrations ©Flore Betty
Photographies ©François Christophe
J'étais assis dans mon bureau, les pieds dessus pour être exact.
Une posture parfaite pour tarabuster les besogneux des coudes, mais qui limitait grandement l'usure des miens. Les mains croisées sur
l'occiput, dos à la porte, je cherchais dans les auréoles du plafond crade un dénouement plausible à cette histoire. Je ne savais pas que dix secondes plus tard, ce seraient les projections de ma
propre cervelle explosée à l'arme automatique que je serais, incrédule, en train d'examiner.
Chris Franco, ce fameux éditeur aux idées baroques, m'avait contraint de lui pondre le deuxième épisode quinze jours avant le terme initialement prévu. Imaginez un peu l'angoisse, moi qui pensais me la jouer pépère avec mon train d'avance... Hop hop, au turbin Raoul, ôte tes panards dégueux de ton bureau et cours les décrotter sur les pavés luisants de ma bourgade, s'agirait pas de manquer la correspondance, qu'il m'avait dit, le bougre.
C'est une lettre anonyme glissée sous ma porte qui me mit la puce à l'oreille, et ce n'est pas juste une expression. Il faut vous dire qu'elle avait une sale mine, dégoulinait, et laissait entre les doigts des effluves nauséabonds. Une lettre tout droit sortie de l'antre putride d'un ordurier corbeau.
Suite au facécieux démembrement de la Confrérie de la Négation, c'est auréolé d'une sainte jubilation expiatoire (pas moins) que je décidai de suivre, quelques soirs plus tard, cette fameuse étoile, brillante comme pas deux dans le ciel non encore floconneux de notre chère citée royale, et qui m'était tombée dans l'oeil tandis que je m'échappais de la cathédrale.
Ainsi l'or, la myrrhe et l'encens me furent indirectement offerts lors de ma précédente aventure. Après moult réflexions, objections et gamberges sur ce que je pouvais bien en faire (je n'allais tout de même pas les placer sur un compte bloqué pendant dix-huit), j'eus l'idée en ce début de janvier, et part là même, début d'année, de me résoudre à en faire don. N'était-ce pas de circonstances ? Le tout étant de savoir si s'y résoudre signifiait « se résigner à » ou « décider de ».
Non content de m'imposer un exercice mensuel qui me laissait depuis six mois à bout d'épreuve, Chris Franco, mon tendre éditeur esclavagiste, m'ordonna dans un sourire canin de partager avec lui une soirée musicale. Vous me ferez un exposé de la chose, qu'il m'avait dit, sans oublier de parler bien proprement du lieu, car nous avons des comptes à rendre à nos partenaires, figurez-vous.
Devant ma machine à écrire qui attendait désespérément mes doigts depuis déjà plusieurs jours, le cul sur ma dure chaise en bois qui était sur le point de me le rendre carré, un soir enfin clément de mars, j'avalai le dernier carré et lançai dans la corbeille à papiers un joli chiffonnage de carton et d'aluminium. Et c'est là que l'idée me vint. Je sautai du siège et allai ex abrupto récupérer l'emballage.
– Non mais franchement, c'est du grand n'importe quoi, là !
– What ? répondis-je perplexe.
– Vous ne croyez tout de même pas vous en sortir comme ça, j'espère ?
– Comprends pas.
– Vos bafouilles, vos épisodes, vos feuilletons..., ces torchons que vous me remettez tous les mois, vous n'imaginez pas que le lecteur
va pouvoir continuer indéfiniment à les gober, ces âneries ?! N'en avez-vous pas assez de le décevoir ? Vous le prenez vraiment pour un cave ! Et moi avec !
– J'opterais plutôt pour le deux.
– Bravo, vraiment, vous êtes au summum.
Ô ma petite bourgade ! Ô la drôle allégresse de parcourir tes rues ! Ô le joyeux rayon de soleil qui vient enfin chatouiller nos âmes penaudes ! Hauts les coeurs et bas les pattes. Que n'avais-je vu tes trésors enfouis ? Tes fières allures quand tes gens badins s'échangent leurs doux sourires ? Tes murs de pierres et leurs secrets millénaires ? Ton patrimoine municipal. Ta vie provinciale. Ton hiver qui s'achève en juin.