Septembre
J'étais assis dans mon bureau, les pieds dessus pour être exact.
Une posture parfaite pour tarabuster les besogneux des coudes mais qui limitait grandement l'usure des miens. Les mains croisées sur l'occiput, dos à la porte, je cherchais dans les auréoles du plafond crade un dénouement plausible à cette histoire. Je ne savais pas que dix secondes plus tard, ce seraient les projections de ma propre cervelle explosée à l'arme automatique que je serais, incrédule, en train d'examiner.
Mais il faut tout de même que je vous raconte avant, sous peine de vous laisser perplexes, les circonstances qui m'avaient mené à cet état des faits, sinon l'éventuelle explication de ce qui m'était passé par la tête.
Voici le topo : mon éditeur m'avait prié de lui pondre une série de douze feuilletons plus ou moins littéraires – nous savions tous les deux que le mot n'en était pas à un galvaudage de plus – mettant en scène votre serviteur, comme disent les éduqués, en proie à quelque déboire ou aventureuse situation, loufoquerie voire pire, dans tel ou tel lieu de votre ville. Les lieux devant être, outre insolites, quelque peu romanesques.
Je l'étais donc jusqu'au cou.
Comment lui dire sans passer pour un cave qu'à part un certain troquet mal-peuplé où la soulographie l'emportait sur la dipsomanie et que je connaissais comme le fond de mon verre, je ne savais rien des us ni coutumes ni chants de sirène de sa ô combien merveilleuse jolie petite bourgade ? Jusqu'au cou, vous dis-je.
Il faut dire aussi que j'avais fait traîner le commencement de la chose, le mettant toujours un peu plus loin que le jour présent. Jusqu'au jour où le jour présent devint le jour d'hier et qu'il aurait déjà fallu que ma copie fût rendue, tandis que j'étais présentement non pas les pieds sur mon bureau face à ma machine à écrire, mais dans des tongs en plastique, à calculer le temps qu'il me faudrait, en minutes ou en heures, pour me faire dessiner par un soleil copain un triangle clair sur le dessus de mes panards, alangui que j'étais dans un transat au bord de la piscine d'une villa méditerranéenne et disponible, et par conséquent à quelques sept cents kilomètres du cœur de l'affaire.
Tarabusté par la chose, je partais régulièrement à la chasse à l'idée du siècle en comptant les bulles que faisait mon slip de bain au fond de la piscine.
Dans un sens l'histoire commençait mal, et bien dans l'autre.
Allez savoir, était-ce le frais pastis à portée de gosier, ces noyaux d'olive que je m'appliquais à cracher le plus loin possible dans les taillis à cigales, l'hypnotique clapotis de ce carré turquoise, ces gouttes qui me perlaient le front, cette amorphe position du lézard qui me caractérisait grosso-modo, ou était-ce la pluie que je savais en train d'inonder, là-bas très loin, la petite ville en question ? Toujours était-il que l'addition de ces conditions particulières et propices au rien, si ce n'était à la divagation de l'âme, m'avaient inopinément mené à l'idée de transformer le gris en bleu, le vide en plein, le rien en tout.
La belle idée que voilà : j'allais faire du quotidien morose du quidam blésois un autre chose. Youpi. J'avais une mission. Un but à atteindre. Et pour une fois non pour moi-même. Je serai l'Amélie Poulain du Loir-et-Cher. Un porte-bonheur. L'Eldorado au bout de la rue. Zorro en tong. Bref, le rayon de soleil mensuel de cinquante mille âmes en perdition qui n'attendaient que moi pour les faire rêver un peu. Quelle aventure, déjà.
J'allais illico fêter tout ça en posant une bombe dans la piscine.
Quelques longueurs de brasse et litres de flotte sur les caillebotis plus loin, je revenais à ma distraction stylistico-maniaque, dégoulinant comme un malpropre et déjà moins fier. A tant de distance de la cité fleur de lysée, loin des lieux atypiques et péripéties affiliées, comment couvrir la fête ? Par où commencer ? Que dire, que transformer, que rendre ? Comment, pour le moins, donner le change ? Oh misère, diraient les gens d'ici.
Il faudrait pour débuter l'ouvrage créer une accroche, poser une ambiance, provoquer un intérêt immédiat, déjà laisser le fameux quidam à bout de souffle, du moins le rendre accroc, un minimum. Lui faire croire, puisqu'on en était là, qu'il allait vivre ici et par procuration des moments hors du commun, tout du moins hors de son malencontreux quotidien petit-provincial. Lui faire croire, toujours, que tout serait vécu, sous ce fameux prétexte du lieu vrai. Ne pas lui laisser un instant de doute. Des noms propres, peut-être ? Il allait s'en passer des choses, dites donc, rue Papin.
Mais commencer par la fin. Ce serait un bon début, et il avait fait ses preuves. Une fin violente, du genre polar qui tourne mal, le narrateur qui meurt à la fin et qui raconte tout de même l'histoire. Une embrouille dès les premières lignes qui donnerait la couleur. La belle arnaque.
En revanche, il serait indispensable de garder précieux un certain assombrissement des choses, conserver cette atmosphère de films de série B, où le héros n'en serait justement pas un. N'était-il pas question que le lecteur s'identifiât ? Que son quotidien fût empli d'obscurs et louches rebondissements ? Qu'il devienne celui qui fait l'enquête, et non celui qui la subit ? Surtout ne pas faire de digressions inutiles sur la chaleur des rayons de soleil d'un été radieux, ni sur des lieux idylliques quasi inatteignables voire parfaitement inexistants. Il s'agirait de rester accessible, n'est-ce pas, et de ne pas taquiner le Blésois.
En somme, le faire rêver qu'il allait s'en payer une bonne tranche.
Mais au prochain épisode, bien sûr.
© Franz Alias
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